Par Olivier Bensaude
Nous avons tous un peu entendu parler du malaise de l’Université. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que la « couverture médiatique » en est faible ou caricaturale. Qui a entendu le discours de notre président de la République du 22 janvier traitant nos universitaires de médiocres, conservateurs et refusant l’évaluation ? En focalisation l’opposition aux réformes sur un prétendu refus de l’évaluation, il pratique un détournement des problèmes. En effet, l’évaluation occupe 1/4 à 1/3 du temps des enseignants-chercheurs et les recrutements se font aujourd’hui sur concours extrêmement compétitifs. Ils concernent des candidats, entre 30 et 40 ans, qui ont fait leurs preuves dans des environnements différents (durant leur thèse et leur post-doctorat). Les causes du malaise de l’Université sont plus graves et portent au moins sur deux points. L’un est politique : l’éducation est-elle une affaire d’État ? L’autre est plus une question de société : quelle doit être la place de « la Recherche » dans notre pays ? Tentons d’analyser d’abord le premier thème.
Éducation : La Révolution Nationale
La Révolution Française était porteuse d’un grand projet éducatif unificateur et égalitariste, projet dont la mise en oeuvre fut parachevée par Jules Ferry à la fin du XIXe siècle. L’éducation est devenue nationale avec une norme. Pour s’assurer que l’enseignement dispensé soit le même sur tout le territoire, on créa dans toutes les académies, des Écoles Normales d’Instituteurs (de formation des maîtres). En supprimant ces Écoles Normales, puis les IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) qui leur ont succédé, en élaborant la loi sur l’autonomie des Universités, les récents gouvernements de droite, l’actuel en particulier, ont entrepris de détruire le projet égalitariste issu du siècle des Lumières.
D’une part, l’autonomie des Universités signifie qu’à terme, et en particulier dans un contexte de crise économique, l’Etat va se désengager et que les Universités devront se financer. On doit donc s’attendre à une augmentation spectaculaire de leurs droits d’inscription et/ou un soutien compensateur des collectivités locales. Il est donc probable que de petites Universités de province disparaissent obligeant les jeunes des régions concernées à prendre un logement hors du foyer familial dès leur entrée dans le monde universitaire. Il s’ensuivra inévitablement une surcharge financière pour les individus et leur famille, de nature à défavoriser encore plus les classes à revenu faible ou moyen.
D’autre part, si les Universités sont autonomes, pourquoi les lycées, les collèges ne le deviendraient-ils pas ? S’il existe des diplômes (master) professionnalisants d’enseignement, pourquoi organiser des concours nationaux dispendieux ? Les chefs d’établissement pourront se charger eux-mêmes des recrutements. Ainsi, on est en lieu de s’attendre à ce que la « masterisation » de la formation des maîtres par des universités concurrentes n’ait pour conséquence une évolution vers un recrutement des maîtres par des établissements d’enseignements (lycées et collèges) autonomes et concurrents.
Certes, notre « Éducation Nationale » n’était égalitaire que sur le papier. Certains lycées certaines Universités sont « plus égaux que d’autres ». Près de la moitié des élèves de nos grandes Écoles recrutés sur des concours nationaux ont fait les mêmes Écoles que leurs parents, mais il reste l’autre moitié… Il est aussi vrai que les pays anglo-saxons qui pratiquent un système éducatif concurrentiel et payant ont des performances comparables aux nôtres pour ce qui est de l’accès à l’éducation. Cependant, ils s’y sont adaptés depuis de nombreuses années. Dès la naissance, les familles se préparent et épargnent en vue de financer les études de leurs enfants. La formation en alternance, les petits boulots d’étudiants complémentent un système de bourses basées sur le mérite, les performances sportives et les revenus familiaux. Le recours à l’emprunt d’éducation y est très répandu. Comme notre société n’est pas préparée à la mise en oeuvre des mécanismes de compensation existant dans les sociétés anglo-saxonnes, un basculement brutal du système dans notre pays ne manquera pas d’aggraver les inégalités.
Comment, nous qui nous disons « socialistes », pouvons-nous accepter une telle contre-révolution qui va à l’encontre de nos valeurs ? Comment se fait-il que nous nous y opposions si discrètement ?