Par Jean Pierre JALLADE
La réforme des retraites devait être le « dossier chaud » de la rentrée, à la fois pour des raisons sociales (chacun sait qu’il faut revenir sur certains avantages acquis pour pérenniser le système) et politiques (à quelques mois des municipales). Apparemment, il n’en est rien, à part quelques appels à la mobilisation dans l’indifférence générale et le soupir de soulagement des socialistes est audible à des kilomètres à la ronde. Je fais partie de ceux qui pestent contre les décisions en passe d’être prises car elles consistent à mettre la poussière sous le tapis plutôt que de passer l’aspirateur.
Reprenons depuis le début. On nous avait promis un grand compromis où toutes les parties prenantes (actifs, retraités, entreprises) seraient mises à contribution dans un esprit de solidarité pour « pour sauver le système ». Concrètement, l’objectif de la réforme envisagée était de combler le déficit des retraites, évalué à 20 milliards d’euros, dont 7 pour le régime général, en 2020. Rappelons aussi que cette réforme était la contrepartie de la décision de Bruxelles d’accorder à la France un délai supplémentaire de deux ans pour atteindre les 3% de déficit des comptes publics (2015 au lieu de 2013). Dans un souci de calmer le jeu à l’avance, le chef de l’Etat et le gouvernement avaient à plusieurs reprises déclaré avant l’été que l’effort à faire serait partagé de manière équitable.
Fidèle à sa méthode de concertation, le gouvernement avait demandé un rapport sur la question (le rapport Moreau, juin 2013, consultable sur Internet) pour présenter des pistes de réflexion. Ce rapport fait donc l’inventaire des mesures possibles pour retrouver un équilibre financier, soit en augmentant les recettes, soit en diminuant les dépenses. Il se garde toutefois d’exprimer des préférences trop marquées pour l’une ou l’autre des mesures proposées afin de ne pas empiéter sur des décisions difficiles dont la nature hautement politique n’échappe à personne.
Le décor était planté, les options sur la table et le grand marchandage pouvait commencer. Les organisations patronales, syndicales et le gouvernement avaient pris position en exprimant leurs préférences ou leurs rejets : Hollande et la CFDT étaient favorables à un allongement de la durée de cotisation, le MEDEF était vent debout contre une augmentation des cotisations, FO et la CGT s’en tenaient à leur slogan traditionnel : « Touche pas à mes fonctionnaires ! ». Pour le Front de gauche, les responsables du déficit se trouvaient à ….Bruxelles.
A Bruxelles justement, on suivait de près une négociation dont le résultat allait indiquer clairement si la France prenait au sérieux ou non l’objectif de réduction du déficit des finances publiques qui lui avait été assigné.
Le citoyen de base était donc en droit d’attendre beaucoup de cette réforme. Cette attente sera déçue car on assiste depuis le début de l’été à une entreprise systématique de déminage qui a vidé la réforme de toute substance.
Qu’on en juge ?
1. Le fameux déficit, évalué à 20 milliard d’euros en 2020, a été miraculeusement réduit à 7 milliards, tout simplement parce qu’on a décidé de réformer seulement le régime général du privé et de ne pas toucher aux régimes qui sont responsables de la plus grande partie du déficit : régime des fonctionnaires, régimes spéciaux et autres. L’effort à fournir s’en trouve diminué d’autant !!!!
2. Comme si cela n’était pas suffisant, l’allongement de la durée de cotisation au-delà de 41,5 années pour obtenir une retraite à taux plein est reporté à 2035. Cette mesure ne pourra donc pas contribuer à financer le déficit de 2020 !!!
3. La hausse des cotisations sociales des entreprises, imposée au MEDEF, contredit l’objectif de compétitivité recherché par le CICE (Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi), institué il y a à peine six mois et dont l’objectif est justement de diminuer ces mêmes cotisations. Pour faire passer la pilule, le gouvernement promet au MEDEF des mesures pour compenser cette hausse dans le budget 2014 ! Comprenne qui pourra !
4. Les mesures concernant la pénibilité consiste en fait à revenir sur le report à 62 ans de l’âge légal du départ à la retraite pour les 10% des salariés soumis à des tâches pénibles.
Au total, l’effort est très inégalement réparti : les fonctionnaires et les retraités s’en sortent bien. Les perdants sont les jeunes actifs (qui devront cotiser plus longtemps pour avoir une retraite à taux plein), les chômeurs (qui attendront la reprise de la création d’emplois) et évidemment les générations futures (qui pâtissent de tout retard dans le désendettement de la France). Il est vrai que ces trois catégories sont peu portées aux manifestations de rue…
En quoi aurait pu donc consister une réforme décisive ?
Des mesures, techniquement simples et répartissant l’effort sur tous auraient été possibles. Curieusement, elles figurent dans le rapport Moreau mais pas dans la réforme. Quelques exemples :
Aligner la CSG des retraités (6,6%) sur celle des actifs (7,5%) : cette mesure serait d’ autant plus justifiée que la France est l’un des pays les plus généreux de l’OCDE envers ses retraités,
• Faire une pause dans l’indexation automatique des retraites, au besoin en exonérant les petites retraites,
• Faire passer progressivement le mode de calcul des retraite de la fonction publique de six mois à cinq ans (25 ans dans le privé), alors que le rapport Moreau proposait dix ans…
• Allonger progressivement la durée de cotisation avec effet immédiat de sorte que cette mesure ait un impact sur le déficit de 2020,
• Mettre en chantier une réforme systémique des retraites, basé sur l’idée de comptes individuels permettant à chacun de déterminer en fonction des droits acquis ses droits à la retraite sur la base de règles s’appliquant à tous. Le principe en a été accepté par le la CFDT et le MEDEF.
L’impact de ces mesures sur le déficit aurait été immédiat et visible. Un signal fort aurait été envoyé à Bruxelles et aux marchés : la France se montrait enfin capable de faire des réformes décisives pour mettre de l’ordre dans ses comptes publics en vue de restaurer sa compétitivité et créer de vrais emplois (plutôt que des emplois aidés)!
La méthode Hollande « des petits pas »
Au lieu de cela, les décisions qui vont être prises illustrent une fois de plus la méthode Hollande des « petits pas » qui consiste à :
• promettre et organiser la concertation sur la base de rapports techniques préparés par des personnalités au-dessus de tout soupçon (Gallois, Fragonard, Moreau),
• ignorer les propositions de ces rapports, ou leur préférer des mini-décisions techniquement habiles, politiquement indolores mais inefficaces,
• s’efforcer de ne mécontenter personne en évitant tout affrontement et surtout avec des catégories portées aux manifestations de rue.
Cette gestion frileuse et incohérente du redressement des comptes publics n’est ni efficace, ni équitable et sent le clientélisme électoral. Elle contribue à infantiliser le parti et les élus socialistes qui continuent de vivre dans un monde illusoire de réformes indolores.