Le revenu universel n’est pas l’idée neuve d’un jeune homme destinée à ringardiser ses concurrents politiques.
Elle apparaît en effet pour la première fois à la fin du XVIIIe siècle, dans un pamphlet publié à Londres par Thomas Spence sous le titre The Right of Infants (1797). L’idée est de procurer à tous un revenu universel sans conditions. On retrouve une intuition similaire un demi-siècle plus tard, dans un ouvrage, publié en 1848 par le bruxellois Joseph Charlier, intitulé Solution du problème social, il formule la toute première proposition de revenu universel établi au niveau national de la toute jeune nation belge. Ils affirment que la terre est un patrimoine commun mis à la disposition de tous pour que chacun puisse subvenir à ses besoins. Le revenu universel est donc une forme de compensation pour l’appropriation privée d’un héritage commun dont nous sommes propriétaires.
C’est aux États-Unis, en pleine effervescence des sixties, que la proposition va connaître sa première heure de gloire. L’économiste Robert Théobald, en particulier, plaide pour une déconnexion du travail et du revenu en proposant l’introduction d’une « sécurité économique de base » sous la forme d’un versement annuel.
Il est intéressant de constater que Milton Friedman (l’initiateur du néo-libéralisme reaganien) y est favorable car cela permet de remplacer tous les programmes d’aides complexes et inefficaces par un revenu minimum même modeste qu’il appelle impôt négatif. Tobin et Galbraith (les chantres des « libéraux » de gauche) plaident également pour ce revenu minimum socle au-dessus duquel peut être maintenu des aides spécifiques.
Aujourd’hui, le seul vrai « revenu universel » existe en Alaska et est versé depuis les années 80 par un gouverneur républicain. « Le concept de dividende à la base du revenu universel en Alaska » est fondé sur la Constitution de l’Alaska, qui stipule que les ressources naturelles de l’Alaska ne sont pas propriété de l’État, mais des citoyens de l’Alaska eux-mêmes. Les ressources pétrolières de l’Etat font donc partie du patrimoine commun et doivent être redistribuées.
Tribune Fonda N°235 – Revenu universel : cartographie d’une controverse – Septembre 2017)
Il existe de nombreux fonds souverains comme celui de l’Alaska mais aucun n’utilise ces fonds pour distribuer un revenu universel aux membres de la communauté, ils préfèrent utiliser cette manne directement pour des investissements d’avenir.
Aujourd’hui certains promoteurs du revenu universel se mobilise pour cette lutte en faveur des droits sociaux…au même titre que le suffrage universel fut l’aboutissement d’une lutte pour les droits politiques.
Le passage de la notion de Revenu Universel à celle de Revenu Universel Jeune implique de compléter son périmètre et ses principes.
Le caractère universel du revenu me semble important, y compris pour les jeunes en âge de lancer des projets, de tester des idées, d’échouer, de se relever, de recommencer. Je situe cette tranche d’âge entre 16 ans et 28-30 ans. Ce revenu versé sur une base individuelle est sans conditions de ressources ni obligation ou absence de travail. Ce revenu peut être monétaire ou versé en partie sous forme d’accompagnement. Sans être contraint par des règles particulières, il peut être adossé à des projets, des concours, des défis. Tout est à inventer dans ce domaine.
Le montant de ce revenu peut être différentié en fonction de l’âge et des projets et peut évoluer au fil du temps.
« La situation sociale des jeunes était déjà délicate avant le coronavirus. Entre 2002 et 2018, le taux de pauvreté des 18-29 ans a augmenté de 50 %, passant de 8 % à 12 %. Leur taux de chômage se situe aux alentours de 20 %, mais ce phénomène est très ancien. Il atteignait déjà 20,2 % en 1984 ».
Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités
Evidemment ce revenu universel jeune doit être accompagné d’une présentation, d’une explication sur son origine, son financement, ses grands principes tout en mettant en exergue son caractère universel et sans contrepartie.
Le montant de ce revenu est à déterminer en fonction également de son financement, qui doit être le plus décorrélé possible des revenus du travail.
Mais ce revenu universel jeune doit être complété par un revenu d’aide aux plus fragiles.
Galbtraith, en particulier, avait bien compris et documenter ce revenu universel-socle au-dessus duquel peuvent être maintenus des compléments sous conditions de ressources et des programmes d’aide.
La situation de cette partie de la population se retrouve aujourd’hui très critique. Les jeunes (18 – 24 ans) sont la tranche d’âge la plus touchée par la pauvreté.
Le revenu minimum a été instauré en France en 1989. Trente ans plus tard, les jeunes de 18 à 25 ans n’y ont toujours pas droit alors qu’ils disposent du droit de vote. Les majorités de droite, comme de gauche, s’y sont toujours opposées.
Alors qu’en 1968, les jeunes Français souffraient de normes sociales trop strictes, en 2020, ils sont étouffés par la situation économique. (Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités)
Premièrement, ils sont les principales victimes de la précarité au travail. La crise éclaire une situation dégradée depuis longtemps. Un fossé s’est creusé. Une minorité des 18-25 ans sont confrontés à la misère et vivent à la rue. Certains fuient la ville et prennent la route. Mais un nombre bien plus grand, infantilisés, souffre de nouvelles formes de dépendances : devoir revenir chez ses parents, demander un soutien financier ou l’hébergement à des amis, vivre dans des logements très exigus en colocation, etc.
Le ministre de l’Agriculture a proposé de cibler 1 million de jeunes et de leur verser 50 euros par mois en chèque alimentaire. Ce type de mesure utile pour couvrir les « inégalités nutritionnelles » est difficile à mettre en œuvre quand elles sont associées à des critères multiples (produits français, bio, …).
https://www.lesechos.fr/economie-france/social/cheque-alimentaire-le-ministre-de-lagriculture-veut-cibler-les-18-25-ans-1308682
Il existe déjà des « minimaux sociaux » pour cette classe d’âge (jeunes parents, RSA d’activité, …)
Le nombre de jeunes autonomes ou vivant chez leurs parents de façon contrainte avec un niveau de vie inférieur au RSA n’est pas connu, mais il dépasse de très loin les 200 000. La preuve, la prime exceptionnelle pour les jeunes en situation de précarité pour amortir l’impact du confinement versée cet été a concerné 800 000 jeunes au total.
Garantie jeunes, …) mais ces dispositifs ne répondent pas aux besoins, à tous les besoins.
Un « simulateur d’aides », destiné à calculer les aides auxquelles chaque jeune a droit en fonction de sa situation, doit être lancé par le gouvernement sur le site #1jeune1solution. Pour lutter contre le non-recours aux aides et ne pas laisser le hasard commander, l’objectif est de simplifier le système.
(https://www.inegalites.fr/Revenu-minimum-pour-les-jeunes-les-raisons-d-un-refus )
« Comment expliquer que la société française refuse d’accorder un revenu minimum aux plus jeunes ? Il est difficile de comprendre qu’une personne soit majeure politiquement à 18 ans (elle peut élire des représentants), mais mineure économiquement jusqu’à 25 ans.
Un minimum social conduirait-il les jeunes à ne pas rechercher un travail et à s’enfermer dans la pauvreté ? Différentes études sur le sujet montrent que l’effet de « désincitation », comme disent les économistes, est faible pour deux types de raisons.
D’une part, occuper un emploi, que l’on soit jeune ou pas, ce n’est pas seulement bénéficier d’un revenu, mais de bien d’autres choses : un mode de socialisation (des collègues, un groupe de travail, etc.), parfois certains avantages sociaux, une forme d’autonomie et un projet d’avenir. Les calculs comparant le gain salarial et la prestation sociale ne prennent pas en compte ces paramètres, particulièrement importants pour cette classe d’âge.
D’autre part, à la sortie du système éducatif, l’immense majorité des jeunes entre naturellement dans la vie active et se projette grâce au travail vers l’indépendance, le logement, ou le projet de fonder une famille. C’est pour cette raison que le ressentiment est grand parmi les « déclassés », dont le métier est sans rapport avec le parcours scolaire ainsi que chez ceux qui n’ont pas réussi à décrocher de diplôme.
Au fond, le refus d’allouer un minimum aux jeunes témoigne de cette double incompréhension : d’abord, de ce que représente le travail dans la société, ensuite, de ce qu’est être « jeune ». »
Le « collectif Alerte » (https://www.alerte-exclusions.fr/fr/qui-sommes-nous/Presentation ), créé en 1994, réunit aujourd’hui 35 fédérations (ATD Quart Monde, Emmaüs France, Fédération des acteurs de la solidarité, Fondation Abbé Pierre, Les Petits Frères des Pauvres, Médecins du Monde, Secours Catholique…) et associations engagées dans la lutte contre la pauvreté, principalement la grande pauvreté. Le collectif Alerte réaffirme l’absolue nécessité de rendre le Revenu universel d’activité accessible à tout jeune qui en a besoin dès 18 ans afin qu’en matière de politiques publiques, nous sortions d’une réponse composée d’une multitude de dispositifs spécifiques dédiés aux public jeune pour évoluer vers l’accès au droit commun et vers une réelle diminution de la situation de pauvreté des jeunes.
L’ampleur du phénomène de pauvreté et de chômage des jeunes et son impact sur leurs trajectoires sociales futures est bien documentée depuis de longues années.
« Le collectif Alerte » a documenté un nécessaire changement de paradigme dans la manière dont les jeunes sont repérés, dans la conception des dispositifs contingentés, dans le renforcement des dispositifs déjà existants. Il est nécessaire de créer un droit ouvert, garantissant à toute personne dont les ressources le justifient de pouvoir en bénéficier.
Il est également important d’éviter toute rupture de parcours et abandon de jeunes sans solution : la crise va durer et personne ne sait quand le marché du travail retrouvera une réelle dynamique, inclusive pour tous et toutes, dont les jeunes.
Ce droit doit donc s’exercer sans limite de durée, jusqu’à l’âge de 25 ans et l’éligibilité du jeune au Revenu de Solidarité Active (RSA) ».
Comme pour la partie universelle du revenu, l’accompagnement pour soutenir les jeunes est important pour renforcer leurs chances d’insertion durable. Cette solution doit donc être autant un droit aux ressources qu’à l’accompagnement, afin de ne pas laisser de jeunes sans appui, ni réseaux d’entraide, et cet accompagnement doit être dûment financé.
Au-delà des solutions particulières, des difficultés liées à la pauvreté et à la très grande pauvreté (nouveau concept qui doit nous interpeller) et des propositions détaillées du groupe « Collectif alerte » quelques points de vigilance sont de mon point de vue indispensable :
- Limiter le plus possible le « non-recours », fléau des politiques d’aides ciblées. Le non-recours est celui des personnes qui n’ont pas recours à des droits et à des services sociaux alors qu’ils en ont la possibilité. Dans le cas des jeunes, les raisons sont multiples, critères d’attribution, sentiment de stigmatisation. (Celui du RSA aujourd’hui est d’environ 35% et plus de 50% pour le RSA d’activité)
- Renforcer l’accompagnement et le coaching des projets de vie
- Améliorer la qualité du ciblage et du suivi grâce aux données et aux nouvelles technologies dans le cadre du respect des obligations RGPD (Le règlement général sur la protection des données) et des préconisations de l’ANSSI (l’autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information).
Les politiques d’accès des jeunes à la santé, à l’emploi, au logement ou à la mobilité devraient également être renforcées, pour une politique globale de lutte contre la pauvreté.
Le bon sens et la logique y compris économique devraient nous aider à avancer rapidement et durablement sur ce sujet.
Aider financièrement un jeune permet de produire un effet de levier (au sens économique du terme) très supérieur au coût des aides et vraisemblablement supérieur à celui généré par les aides ciblées aux tranches d’âges supérieures, dont le RSA.
Ne pas aider un jeune aujourd’hui implique probablement souvent de devoir aider un adulte plus tard et à un cout supérieur pour des résultats plus mitigés.
Ne pas aider un jeune aujourd’hui peut avoir des implications directes sur les budgets de la santé présents et futurs, sur la démographie levier de développement des démocraties, sur l’état de la société et sa violence, sur l’équilibre des retraites futures. Ce sujet sera l’un des enjeux de l’élection présidentielle de 2022 et le PS doit participer au débat, proposer des solutions simples et mobiliser l’opinion sur ces enjeux vitaux pour l’avenir de la France.