Le débat est ouvert. Les économistes, les juristes et les politiques se disputent sur ce sujet. Est-il possible, est-il souhaitable d’annuler la dette ? Avec en bruit de fond des formules chocs sur l’argent magique.
Pour y voir un (petit) peu plus clair, survolons le sujet en répondant à quatre questions.
De quelle dette est-il question ?
Il s’agit uniquement de la dette détenue par la BCE, la Banque Centrale Européenne. Constituée de créances sur les Etats membres, des dettes souveraines, elle s’élève à environ 2.200 milliards d’euros, dont 420 sur la France.
Que se passerait-il si cette dette-là était annulée en tout ou en partie ?Les états verraient le montant de leurs charges allégées du paiement des intérêts et du remboursement du capital. Leurs contraintes budgétaires desserrées, ils retrouveraient, alors, des marges de manoeuvre.
Cela ne lèserait que la BCE puisqu’il n’est pas question d’annuler les dettes détenues par les banques, les assurances ou les fonds de pension. L’annulation des dettes souveraines détenues par ces intermédiaires n’est pas envisagée, car cela déstabiliserait le système financier et appauvrirait les épargnants.
En annulant la dette des états, la BCE aurait moins de réserves, ses fonds propres pourraient devenir négatifs.
Est-ce grave pour une banque centrale d’avoir des fonds propres négatifs ?
Assez technique, cette question peut se résumer à cette interrogation simple : une banque centrale peut-elle faire faillite ? Les avis divergent, mais des économistes de la BCE ont donné un avis en 2016, en des termes très clairs. Les banques centrales sont protégées de l’insolvabilité en raison de leur capacité à créer de l’argent et peuvent donc fonctionner avec des fonds propres négatifs.
Mais alors, pourquoi ne pas le faire ?
Des objections institutionnelles et des réticences d’ordre financier s’ajoutent à des divergences sur l’opportunité économique d’y recourir.
Les objections institutionnelles. Rien ne s’oppose à ce qu’un créancier privé renonce à sa créance. Mais, la BCE qui n’est pas un créancier privé ne dispose pas de cette faculté. De plus, institution indépendante, elle ne peut pas recevoir l’ordre de le faire. Par conséquent, l’annulation reviendrait à donner, de facto, aux Etats, le droit de ne plus rembourser leurs dettes à la BCE. Pour commencer, craignent les tenants de cette thèse. A leurs yeux, c’est ouvrir la porte à une situation à risques, aux conséquences, sans doute, pires que l’endettement actuel. Une autre hypothèse a été envisagée : la transformation de la dette en rente perpétuelle. Elle exonérerait les Etats du remboursement du capital ; ils ne seraient plus redevables que des intérêts. Sans surprise, cette proposition est l’objet d’une objection analogue. C’est pourquoi des économistes proposent plutôt de passer par une imposition renforcée et ciblée du capital qui aurait, par ailleurs, un réel effet redistributif. Pour donner un
ordre de grandeur, une seule année d’imposition à un taux de l’ordre de 15 à 20% de tous les patrimoines français supérieurs à 30.000 euros rembourserait la totalité de la dette française. Mais, on imagine mal politiquement la mise en place d’une mesure aussi radicale seulement en France et, plus encore, au sein de l’union européenne.
Une réticence, moins institutionnelle, plus financière, est également avancée.
La situation ne le justifie pas, disent ses défenseurs. Déjà opérée par le passé, l’annulation d’une dette souveraine reste, selon eux, un ultime recours, pour éviter une situation à la fois probable et pire encore. Ce n’est pas le cas. Les taux d’intérêts sont bas, la BCE, qui détient moins de dettes souveraines que d’autres les banques centrales de puissances comparables (Japon, Grande-Bretagne et Etats-Unis), dispose encore de marges de manoeuvre. La dette est donc encore « soutenable ». Il n’est donc pas impératif de l’annuler, alors autant ne pas le faire et garder cette arme en réserve.
Enfin, une argumentation économique est avancée et… contestée.
L’annulation de la dette favoriserait l’activité économique. Les agents économiques, n’anticipant plus de hausse de la fiscalité pour financer la dette, investiraient et consommeraient davantage, selon les uns. Oui, mais à condition que les Etats ne réempruntent pas davantage, objectent d’autres. Mais, c’est justement ce qu’il faut pour sortir de l’austérité et financer, par exemple, la transition énergétique ou les services publics, répondent les premiers. Certes, mais à quoi bon annuler une partie de la dette pour se réendetter à nouveau ? Ne vaudrait-il pas mieux alors changer la règle des 60% et s’habituer à des ratios dette/PIB plus élevés ? Entend-on alors
Le débat sur l’annulation de la dette est vif et multiforme. Chacun a ses modèles, ses références historiques, ses hypothèses sur l’avenir. Reste qu’au-delà de leurs divergences, de nombreux contributeurs sont préoccupés par le maintien, voire le sauvetage, de la zone euro.
Un point semble sûr. A l’heure actuelle, aucun pays, aucun dirigeant n’est partant pour l’option d’annuler la dette. Dès lors, dire que l’on peut changer les traités qui déterminent la politique monétaire, c’est énoncer qu’il n’y a davantage de choix politiques possibles sur la monnaie. C’est déjà lutter contre le sentiment anti-euro.
Jean-François Teyssedou.
Juin 2020