« On la trouvait plutôt jolie, Lily
Elle arrivait des Somalies, Lily
Dans un bateau plein d’émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris »
Place de la Bastille, ce soir du 10 mai 1981, cette chanson de Pierre Perret était reprise en cœur par les participants à ce rassemblement. François Mitterrand venait d’être élu Président de la République. Un formidable espoir venait de naître.
Quarante ans après, qu’en reste-t-il ? Que reste-t-il des victoires électorales du Parti socialiste, de cette génération de responsables qui longtemps ont gouverné l’État, une majorité de régions et de départements, présidé l’Assemblée nationale, et même brièvement le Sénat ?
Dernier candidat en date et en performance, Benoît Hamon n’a recueilli que 6,36% des votes. La gauche, aujourd’hui, s’avance affaiblie et désunie vers la prochaine présidentielle. L’addition de toutes ses forces atteint tout juste les 25% : c’est moins que le score de Marine Le Pen toute seule (28%)[i]. L’espoir a fait place à la désillusion et au désenchantement.
Et pourtant !
L’élection du président François Mitterrand a ouvert la voie à une série de réformes qui ont marqué le pays : économiques avec les nationalisations ; sociales avec la retraite à 60 ans, la cinquième semaine de congés payés, l’impôt sur les grandes fortunes, le relèvement du smic, des allocations familiales et du minimum vieillesse, les lois Auroux qui renforcent les droits des salariés, la semaine de 39 heures ; sociétales avec l’abolition de la peine de mort, la suppression des tribunaux d’exception, la dépénalisation de l’homosexualité ; institutionnelles avec la décentralisation ; culturelles avec la création de deux nouvelles chaînes de télévision commerciale et d’une chaîne de télévision européenne, le prix unique du livre, la Fête de la Musique. D’une certaine manière, ces réformes ont changé la vie quotidienne des Français et dessinent, aujourd’hui encore, le visage de leur démocratie.
On pourrait aussi parler des grands travaux ou évoquer des gestes symboliques forts en faveur de la paix qui, eux aussi, ont marqué durablement. A Verdun où le chancelier allemand et le président français se sont recueillis la main dans la main ou encore la pose d’une rose sur la tombe de Jean Jaurès.
Seulement voilà. Tout n’est pas rose, même pour un gouvernement socialiste.
Le génocide rwandais qui, entre avril et juillet 1994, fit 800.000 morts est, aujourd’hui, questionné. Les archives de la présidence de la République indiquent que les autorités françaises ont été régulièrement informées au cours des années 1990 à 1994, de risques de massacres des Tutsis de grande ampleur et qu’elles ont probablement tardé à prendre la mesure de la situation de violences extrêmes qui suivit l’attentat du 6 avril.
Moins dramatique : le tournant de la rigueur de 1983. Trahison pour les uns, décision difficile mais nécessaire pour les autres. Du point de vue économique, la cause de ce tournant, c’est la politique de relance. Elle est intervenue dans une conjoncture internationale extrêmement dégradée, avec une politique monétaire américaine très restrictive qui visait à casser l’inflation, avec l’arrivée de Thatcher au Royaume-Uni, avec une Allemagne qui s’engage dans une désinflation compétitive, bref des conditions très hostiles. La relance par la consommation va surtout subventionner les industries étrangères. On se souvient de ces magnétoscopes japonais emmagasinés dans les bureaux de douane, symbolisant parfaitement cette forte erreur d’appréciation. La France s’est d’ailleurs retrouvée dès 1982 avec des déficits commerciaux et courants ahurissants. On se dit maintenant qu’il aurait fallu privilégier l’investissement et la montée en qualité de l’industrie française, plutôt que la relance par la consommation. Avec le recul, c’est toujours plus facile. Mais, en 1983, il fallait gérer l’inévitable pour éviter d’affronter l’ingérable.
En fin de compte.
Il est permis de se demander si la désillusion et le désenchantement qui frappe le Parti socialiste, tient au bilan, forcément contrasté, de son action. En effet, des difficultés comparables touchent cette famille politique, la gauche de gouvernement, ailleurs en Europe, en Allemagne ou Grande-Bretagne par exemple.
Par déception ou par adaptation ? Chacun jugera.
L’ampleur, la rapidité et la violence des changements de ces dernières années, ont conduit une partie de l’électorat vers l’abstention, une autre vers les populismes de tout bord. A la suite de leurs victoires électorales en Grande-Bretagne (vote en faveur du Brexit) et aux Etats-Unis (élection de D. Trump), après l’alerte des élections régionales de 2015 (retraits de liste de gauche pour faire barrage au Front national), des sympathisants, des militants et des élus ont considéré que la lutte contre les populismes était devenue la priorité. Lors de la dernière présidentielle, ils se sont détournés du candidat socialiste et ont favorisé l’élection d’Emmanuel Macron.
[i] Enquête Harris Interactive pour Challenges, réalisée en ligne du 28 au 31 mai,